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La semaine de la procédure pénale

Pénal - Procédure pénale
16/11/2020
Présentation des dispositifs des arrêts publiés au Bulletin criminel de la Cour de cassation, en procédure pénale, la semaine du 9 novembre 2020.
Action civile – appel – double degré de juridiction
« M. X..., Mme X..., M. Y... et la société Pharmacentre ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel de Saint-Pierre de la Réunion des chefs de d’escroqueries en bande organisée, recel d’escroqueries en bande organisée, abus de biens sociaux, faux et usage.
Par jugement du 19 novembre 2015, le tribunal correctionnel a, sur l’action publique, déclaré M. et Mme X... coupables d’abus des biens sociaux, MM. X... et Y... coupables d’escroqueries, la société Pharmacentre coupable de recel d’escroqueries, et, sur l’action civile, a reçu la Caisse générale de sécurité sociale de la Réunion en sa constitution de partie civile à l’encontre de MM. X..., Y... et de la société Pharmacentre, déclaré irrecevable sa constitution de partie civile à l’encontre de Mme X..., déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de la SNAM Réunion et de la Mutualité de la Réunion, et renvoyé l’affaire à une audience ultérieure sur les intérêts civils.
Le jugement ne fait pas état d’une constitution de partie civile du Conseil national de l’ordre des pharmaciens.
M. Y..., la Mutualité de la Réunion, la SNAM Réunion, ainsi que le Conseil national de l’ordre des pharmaciens (CNOP) ont relevé appel de cette décision.
 
Vu l’article 520 du Code de procédure pénale :
Il se déduit de ce texte que lorsque la cour d’appel statue sur l’appel d’un jugement ayant omis de prononcer sur une action civile, elle doit annuler ce jugement, évoquer et statuer à nouveau conformément à l’article 520 du Code de procédure pénale, en remplissant la mission des premiers juges et par suite, prononcer sur l’action civile.
Pour déclarer irrecevable l’appel du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, l’arrêt attaqué énonce que le jugement du tribunal correctionnel ne porte pas mention de la constitution de partie civile du CNOP, qui a néanmoins formé appel.
Les juges relèvent que la règle du double degré de juridiction fait obstacle à ce qu’une partie civile, quelle que soit la raison pour laquelle elle n’a pas été partie au jugement de première instance, intervienne pour la première fois en cause d’appel.
En prononçant ainsi, et alors que le Conseil national de l’ordre des pharmaciens produisait des éléments de nature à établir qu’il s’était régulièrement constitué devant les premiers juges, et que c’est par suite d’une omission du tribunal que sa constitution de partie civile n’était pas mentionnée dans le jugement, la cour d’appel, qui devait vérifier la réalité de cette constitution de partie civile en évoquant et en statuant à nouveau, conformément à l’article 520 du Code de procédure pénale, a méconnu le texte susvisé ».
Cass. crim., 10 nov. 2020, n° 19-80.962, P+B+I *
 
Prescription – opération unique
« M. X..., architecte d’intérieur a été poursuivi du chef d’abus de biens sociaux pour avoir, notamment, d’une part, de 2002 à juillet 2013, étant gérant de fait de la société Cad, attribué, dans son intérêt personnel, à son épouse un salaire mensuel de 2 700 euros en rétribution d’un emploi fictif, soit une somme totale de 356 400 euros, d’autre part, entre le 15 avril et le 4 juillet 2013, facturé sous le nom de sa société A... X... Design et Stratégies des clients de la société Cad.
Le tribunal correctionnel, estimant que le versement des salaires n’avait pas été dissimulé, a constaté la prescription de l’action publique pour les faits commis entre 2002 et le 13 janvier 2011 et a déclaré le prévenu coupable du chef d’abus de biens sociaux s’agissant du paiement des salaires ultérieurs correspondant à la somme de 82 654 euros, compte pris du soit-transmis du parquet diligentant une enquête en date du 13 janvier 2014 interruptif de prescription et de la facturation précitée pour une somme totale de 112 560 euros.
Son épouse a été poursuivie pour avoir, de 2002 à fin 2012, sciemment bénéficié du produit de l’abus de bien sociaux par lui commis au préjudice de la société Cad par perception de salaires indus d’un total de 356 400 euros en rémunération d’un emploi fictif.
Le tribunal correctionnel l’a retenue dans les liens de la prévention et, constatant la connexité et l’indivisibilité de chacune des infractions distinctes dont ils ont été déclarés coupables, l’a condamnée, solidairement avec son mari, sur le fondement de l’article 480-1 du Code de procédure pénale, à verser la somme de 356 400 euros au liquidateur de la société Cad placée en liquidation judiciaire par jugement du 6 août 2013.
 
Pour écarter la prescription de l’action publique invoquée par le conseil de Mme X..., l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que la prescription applicable au recel est indépendante de celle du délit originel dont il est distinct, que la prescription de l’action publique ne court que du jour où il a pris fin, alors même qu’à cette date, l’infraction qui a procuré la chose serait déjà prescrite, que le recel ne saurait commencer à se prescrire avant que l’infraction dont il procède soit apparue et ait pu être constatée dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique.
Les juges retiennent qu’en l’espèce, Mme X... a sciemment reçu des salaires en rétribution d’un emploi fictif de façon continue de 2002 à 2012, qu’elle en a profité et que le procureur de la République ayant diligenté une enquête par soit-transmis du 13 janvier 2014, soit moins de trois ans après la dernière perception de revenus, l’action publique n’était pas prescrite, pas même pour partie des faits.
L’arrêt attaqué n’encourt pas la censure.
En effet, les faits de recel du produit d’abus de biens sociaux résultant de l’exécution d’un seul et même contrat de travail fictif, constituent une opération délictueuse unique.
En conséquence, la prescription, qui n’a pu commencer à courir pour l’ensemble des faits, au plus tôt, qu’après la date de la dernière perception de revenus, ne saurait être acquise, dès lors qu’un acte interruptif de prescription est intervenu moins de trois ans après cette date.
 
Pour condamner M. X..., solidairement avec son épouse, à régler au liquidateur judiciaire de la société Cad une somme de 356 400 euros en réparation du préjudice subi par cette personne morale à la suite de l’abus de biens sociaux commis par son gérant de fait au moyen de versement de salaires à son épouse en rétribution d’un emploi fictif supporté par la société et du recel commis par cette dernière bénéficiaire de ces sommes perçues indûment, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, qu’ils ont été déclarés coupables d’infractions rattachées entre elles par un lien d’indivisibilité et de connexité et qu’ils doivent, en conséquence, être tenus solidairement des dommages-intérêts par application de l’article 480-1 du Code de procédure pénale.
En prononçant ainsi, et dès lors que le prévenu ayant été déclaré coupable de partie des faits d’abus de biens sociaux visés à la prévention que les juges ont estimés à bon droit connexes du recel retenu à l’encontre de l’épouse de ce dernier, les griefs pris de ce que la prescription de l’action publique, constatée pour le surplus des faits d’abus de biens sociaux reprochés, interdit au juge répressif de connaître de l’action civile en réparation du dommage causé par ces derniers sont inopérants, la cour d’appel a justifié sa décision.
 
Pour confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré le prévenu coupable d’abus de biens sociaux, l’arrêt énonce notamment, par motifs propres et adoptés, qu’en sa double qualité de gérant de fait de la société Cad et de gérant de droit de l’Eurl A... X... Design et Stratégies, le prévenu a facturé en direction de la société Cad des prestations que ne justifie nulle convention observant que le personnel de cette société, laquelle supportait les charges fiscales et sociales de ces tâches indues, avait assumé en réalité tout ou partie des prestations dont l’Eurl avait encaissé le prix qui devait revenir à la société Cad.
En statuant ainsi par des énonciations dont il ressort que le prévenu a procédé à une facturation mensongère, établie au détriment de la société Cad spoliée du prix de ses prestations au bénéfice de l’Eurl dans laquelle il était directement intéressé, la cour d’appel, qui a caractérisé en tous ses éléments, tant matériel qu’intentionnel, le délit d’abus de biens sociaux commis dans l’exercice de ses fonctions de dirigeant de la société Cad dont elle a déclaré le prévenu coupable et qui n’a pas excédé les limites de sa saisine, a justifié sa décision ».
Cass. crim., 10 nov. 2020, n° 19-80.557, P+B+I *
 
 
Motivation – huis-clos
« M. A... X... a été condamné par le tribunal correctionnel pour conduite d’un véhicule sous l’emprise d’un état alcoolique, en état de récidive légale, à deux mois d’emprisonnement avec sursis et à l’annulation de son permis de conduire.
M. X... et le ministère public ont relevé appel de cette décision.
 
En statuant à juge unique, le juge d’appel n’a méconnu aucun des textes visés au moyen, dès lors que les dispositions de l’article 510 du Code de procédure pénale, issues de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, sont applicables à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur, s’agissant de dispositions fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure.
Ainsi, le moyen doit être écarté.
 
Vu l’article 593 du Code de procédure pénale :
Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
La cour d’appel qui n’a pas fait état de la demande motivée de huis-clos et n’y a pas répondu n’a pas justifié sa décision ».
Cass. crim., 10 nov. 2020, n° 19-86.750, P+B+I *
 
 
Préjudice moral – réparation
« A la suite d’un accident de la circulation survenu le 22 mai 2016, Mme A... X... a été déclarée coupable d’homicide involontaire par conducteur de véhicule terrestre à moteur sous l’emprise d’un état alcoolique et de conduite d’un véhicule à une vitesse excessive eu égard aux circonstances, au préjudice de C... Y....
Mme D... Z..., compagne de C... Y..., s’est constituée partie civile en son nom personnel et en qualité de représentante légale de son fils B... Y..., né le [...] 2016. La société GMF, assureur responsabilité civile de Mme X..., est intervenue à l’instance. L’affaire a été renvoyée sur les intérêts civils.
Statuant sur intérêts civils, le tribunal correctionnel a condamné Mme X... à payer la somme de 10 000 euros à Mme Z... en qualité de représentante légale de B... Y..., au titre du préjudice moral de celui-ci. La GMF a relevé appel de cette décision.
 
Pour confirmer le jugement, l’arrêt attaqué, après avoir énoncé que, dès sa naissance, l’enfant peut demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu’il était conçu, relève que l’enfant B... est né le [...] 2016 de l’union de C... Y... et de D... Z..., lesquels vivaient en concubinage depuis mars 2013. Ils en déduisent que, contrairement à ce que postule le moyen, l’enfant était conçu au jour du décès de son père, intervenu un mois et sept jours avant sa naissance.
Les juges retiennent que l’absence de C... Y... auprès de son fils B... sera toujours ressentie douloureusement par l’enfant qui devra se contenter des souvenirs de sa mère et de ceux de ses proches pour connaître son père et construire son identité, et que B... souffrira de l’absence définitive de son père qu’il ne connaîtra jamais, toute sa vie.
Ils en déduisent que le préjudice moral de l’enfant est caractérisé ainsi qu’un lien de causalité entre le décès accidentel et ce préjudice.
En statuant ainsi, la cour d’appel n’a méconnu aucun des textes visés au moyen.
La deuxième chambre civile statue dans le même sens, reconnaissant le droit de l’enfant, dès sa naissance, à demander réparation du préjudice résultant du décès accidentel de son père survenu alors qu’il était conçu (2e Civ., 14 décembre 2017, n° 16-26.687, Bull. 235).
Dès lors, le moyen doit être écarté ».
Cass. crim., 13 oct. 2020, n° 19-87.787, P+B+I *
 
 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 16 décembre 2020.
 
 
 
Source : Actualités du droit