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Le monopole du parquet pour la poursuite des infractions commises en OPEX (au sens large) échappe à la censure constitutionnelle

Pénal - Procédure pénale
01/10/2019
Le Conseil constitutionnel n’avait, jusqu’ici, pas eu l'occasion de se prononcer sur la conformité des dispositions qui privent la victime, par dérogation au droit commun, de toute possibilité de mettre en mouvement l'action publique, en cas d'infractions commises, au cours de l'accomplissement de sa mission, par un militaire engagé dans une opération mobilisant des capacités militaires et se déroulant à l'extérieur du territoire ou des eaux territoriales français. C’est désormais chose faite.
En juin 2019, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a été saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des dispositions du second alinéa de l'article 698-2 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 29 juin 2019, n° 19-90.021). Ce texte réserve au procureur de la République le pouvoir de mettre en mouvement l'action publique en cas d'infractions commises, au cours de l'accomplissement de sa mission, par un militaire engagé dans une opération mobilisant des capacités militaires et se déroulant à l'extérieur du territoire ou des eaux territoriales français.

La requérante invoquait une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif reprochait au texte de priver les victimes d'une telle infraction de la possibilité de déclencher elles-mêmes l'action publique en se constituant partie civile. Elle dénonçait aussi, en violation du principe d’égalité, l’instauration, par l’alinéa 2 de l’article 698 du Code de procédure pénale, d’une distinction injustifiée entre victimes, selon que l'infraction est commise à l'étranger ou en France et selon qu'elle est commise, à l'étranger, par un militaire ou un civil.
 

Sur la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif


Le Conseil constitutionnel rappelle d’abord les termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dont il résulte qu’il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.
Puis il constate que les dispositions contestées font bien obstacle à la mise en mouvement de l’action publique par une personne qui se prétend lésée par une infraction commise dans un tel cadre. Néanmoins, même en l’absence d’engagement de poursuites par le ministère public, les dispositions contestées ne privent pas la partie lésée de la possibilité d’obtenir réparation du dommage que lui ont personnellement causé les faits commis par le militaire devant, selon le cas, le juge administratif ou le juge civil.
Le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif doit donc être écarté.

 

Sur la violation du principe d’égalité


Le Conseil constitutionnel reprend les termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, combinés avec les dispositions de l'article 16 de la Déclaration de 1789, dont il résulte que si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.
Or, il s’avère qu’ « en adoptant les dispositions contestées, le législateur a, eu égard aux contraintes inhérentes à l'exercice de leurs missions par les forces armées, entendu limiter le risque de poursuites pénales abusives, de nature à déstabiliser l'action militaire de la France à l'étranger ». C’est la raison pour laquelle il a confié au procureur de la République, un monopole de poursuites, circonscrit aux faits commis dans l'accomplissement de sa mission par un militaire engagé dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises. On notera que la Cour de cassation a également pris soin, dans sa décision de renvoi, de souligner qu’il résulte des travaux préparatoires de la loi du 18 décembre 2013 qui a modifié l’article 698-2 (L. n° 2013-1168, 18 déc. 2013, JO 19 déc.), que le législateur a voulu « éviter l'instrumentalisation de l'action judiciaire par des acteurs qui auraient intérêt à contester par ce biais la politique militaire française ».

Pour le Conseil constitutionnel, le législateur a, ce faisant, tenu compte de la spécificité de ces opérations et n'a pas instauré de discrimination injustifiée entre, d'une part, les victimes d'infractions commises par un militaire dans l'accomplissement de sa mission lors de telles opérations et, d'autre part, les victimes des mêmes infractions commises en France par un militaire ou commises à l'étranger par un civil.
Et il y a d’autant moins violation du principe d’égalité, que les victimes des infractions visées par les dispositions contestées peuvent obtenir réparation du dommage causé par ces infractions et que, dans le cas où l'action publique a été mise en mouvement par le parquet, elles ont le pouvoir de se constituer partie civile (par vois d’intervention donc), au cours de l'instruction ou à l'audience devant la juridiction de jugement. « Leur sont ainsi assurées des garanties équivalentes pour la protection de leurs intérêts ».
 
Ne méconnaissant aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le second alinéa de l'article 698-2 du Code de procédure pénale est donc déclaré conforme à la Constitution. Tant en ce qui concerne la solution, que l’analyse y conduisant, cette solution est très similaire à celle qui avait conduit à déclarer la conformité du 1er alinéa de l’article 698-2 du Code de procédure pénale. Rappelons que cette disposition interdit, quant à elle, à la victime d'une infraction militaire commise en temps de paix sur le territoire de la République de mettre en mouvement l'action publique par voie de citation directe, seule l’action civile par voie d’action (devant la juridiction d’instruction) étant ouverte (Cons. const., 24 avr. 2015, n° 2015-461 QPC).

En dernier lieu, on mentionnera pour mémoire l’article L. 4123-12 du Code de la défense, dans sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 2018, selon lequel, outre les cas de légitime défense, n'est pas pénalement responsable le militaire :
  • qui déploie, après sommations, la force armée absolument nécessaire pour empêcher ou interrompre toute intrusion dans une zone de défense hautement sensible et procéder à l'arrestation de l'auteur de cette intrusion ;
  • qui, dans le respect des règles du droit international et dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires, se déroulant à l'extérieur du territoire français ou des eaux territoriales françaises, quels que soient son objet, sa durée ou son ampleur, y compris les actions numériques, la libération d'otages, l'évacuation de ressortissants ou la police en haute mer, exerce des mesures de coercition ou fait usage de la force armée, ou en donne l'ordre, lorsque cela est nécessaire à l'exercice de sa mission.
Sur l’action civile devant les juridictions répressives, voir Formulaire ProActa procédure pénale, nos 310-5 et s.
Source : Actualités du droit