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Rapport d’activité 2016 du Défenseur des droits : lutter contre la déshumanisation

Public - Droit public général
Pénal - Droit pénal général
24/02/2017
Jeudi 23 février 2017, Jacques Toubon, Défenseur des droits, a présenté le rapport d’activité de l’institution pour l’année 2016, qui s’ouvre sur ces mots : « Le droit est un combat ».
Né en 2011 de la fusion de quatre institutions – le Défenseur des enfants, la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS), la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE) et le Médiateur de la République –le Défenseur des droits aura gagné, en cinq ans et demi d’existence, en maturité et en reconnaissance. Pour cela, l’institution a réussi à mettre en place un accueil unifié, réunir les compétences et adopter une approche pluridisciplinaire.

Son activité croît sensiblement. Jacques Toubon espère donc renforcer ses effectifs d’ici fin 2017 et passer ainsi de 450 à 500 délégués : en charge de 80 % des dossiers, ils devraient en outre bénéficier de formations pour améliorer la qualité et l’intensité de leur action et développer leur pluridisciplinarité.

Un rôle primordial d’accompagnement face au recul de l’accès au droit

Aujourd’hui, « nous sommes amenés à tenir la main d’un certain nombre de personnes », car « l’Administration est devenue un véritable labyrinthe » dans lequel le délégué du Défenseur des droits « essaie d’être le fil d’Ariane ».

Le Défenseur des droits, qui a en premier lieu un rôle de vigie, constate en effet que l’accès au droit, et au service public, est en recul dans notre pays. Sa grande enquête « Accès aux droits » menée au printemps 2016 confirme cette tendance. Tout comme la signature il y a deux jours, par le garde des Sceaux et sept associations, de la Charte nationale d’accès au droit (voir Pourtau St., Actualités du droit, 21 févr. 2017 : Charte nationale de l’accès au droit : s’unir au profit des plus démunis).

L’accès au droit est de plus en plus complexe. Les causes sont multiples – opacité de la loi, nombre croissant de pièces justificatives requises, manque d’information, etc. – auxquels il faut ajouter un « certain retrait du service public et une réduction des fonctions d’accueil, d’orientation et d’assistance au profit de procédures numérisées ». Jacques Toubon regrette que les relations humaines soient de plus en plus remplacées par des relations en ligne, qui créent une « fracture numérique ».

L’institution se trouve ainsi chargée de rendre effectifs les droits des publics les plus vulnérables (personnes âgées, handicapées, défavorisées) et de leur offrir un accompagnement "humain" à l’heure de l’administration numérique : ses délégués « font office de lieu d’information sur les procédures et les droits, assument les fonctions de liaison avec l’Administration ».

Aussi, outre un « retour du service public », Jacques Toubon souhaite la mise en place de formations à destination des personnes vulnérables (les « illettrés numériques ») et d’une aide à l’équipement en cas de besoin (un tiers des personnes interrogées dans son enquête n’ont pas accès à Internet ou rencontrent des difficultés pour accomplir des démarches en ligne).

Le non-recours au droit et les discriminations

Conséquence de la complexification de l’accès au droit, mais pas seulement, l’institution constate une augmentation du non-recours au droit. Si beaucoup de personnes pensent qu’il n’y a pas de recours dans leur situation, nombreuses sont celles qui en connaissent l’existence mais renoncent à les exercer, en particulier en matière de discriminations. La plupart des individus les ressentent, mais ils « les jugent normales », déplore Jacques Toubon, une minorité seulement réagit et utilise une des voies de recours qu’offre le droit.

Il y a pourtant aujourd’hui 23 critères légaux de discrimination : lieu de résidence, perte d’autonomie, précarité sociale ou encore identité sexuelle devenue en 2016, identité du genre, font partie des derniers critères qui ont été ajoutés.

« On a un appareil optimum mais pas de plaintes ». Pourquoi ? À cette question le Défenseur des droits répond par un autre constat : « l’ère d’aujourd’hui est identitaire mais pas égalitaire », le discours prépondérant est celui de l’identité et il ne s’accorde pas avec un discours de lutte contre les discriminations. En la matière, les politiques publiques « jouent petit bras », pour Jacques Toubon. Il note également que peu de choses sont dites sur ce sujet dans le cadre de la campagne présidentielle.

Pour l’avenir, il sera particulièrement attentif aux discriminations dont sont victimes les personnes âgées : c’est « un enjeu majeur de notre société », qui en compte de plus en plus.

Exigences de sécurité et respect des libertés : un équilibre à trouver

Le Défenseur des droits s’est penché sur l’équilibre, dans un État de droit, entre les exigences légitimes de sécurité et le respect des libertés fondamentales.

Il a déjà fait part de ses inquiétudes concernant la prorogation de l’état d’urgence et certains projets législatifs (loi sur la sécurité publique, par exemple) ou constitutionnels destinés à lutter contre le terrorisme, qui restreignent les libertés publiques et individuelles. Le changement de la majorité pénale ne lui semble pas, par exemple, être une réponse adaptée, car la justice spécialisée pour les mineurs est la meilleure garantie pour les droits des enfants et surtout la seule qui propose des sanctions à caractère éducatif : plus la Justice offrira aux mineurs des voies d’éducation, plus on fera de la prévention.

L’autre question récurrente, relative à la déontologie de la sécurité, concerne l’équilibre à trouver, pour les autorités en charge de la sécurité (i.e. les forces de l’ordre), entre la nécessité du geste (usage de la force) et son caractère proportionné par rapport à la situation.

« 80 000 à 90 000 personnes de la police sont des gardiens de la paix », a rappelé Jacques Toubon. Ce mot ne doit pas être galvaudé. Ils sont gardiens de la paix sociale. Aussi, pour éviter des manquements à leur déontologie (insultes, recours injustifié à la violence, etc.), le Défenseur des droits a notamment développé des actions de formation dans les écoles de police.

Une augmentation de 35 % des saisines a été enregistrée sur ce sujet cette année. Cela ne veut pas malheureusement pas dire que plus de personnes concernées par des manquements engagent des démarches (seuls 5 % le font) : au moins 10 % des réclamations ²supplémentaires² sont liées aux manifestations contre la loi Travail. Le Défenseur des droits prévoit néanmoins pour l’avenir, une augmentation de 10 à 15 % chaque année : « de plus en plus de personnes veulent que l’exercice de l’autorité soit fait dans le respect des droits fondamentaux ».

La crise des migrants : toujours un sujet d’inquiétude

Le Défenseur des droits constate que « le hiatus entre les droits proclamés et les droits effectifs est le plus grand » s’agissant des étrangers et des migrants. À la suite de la publication en mai 2016 du rapport sur « les droits fondamentaux des étrangers en France », un pôle spécifique a été créé au sein de l’institution et plusieurs recommandations portant sur la prise en charge des mineurs étrangers, et spécialement des mineurs non accompagnés, ont été émises.

Le Défenseur des droits constate une défaillance des autorités européennes et françaises sur ce point spécifique. La situation des mineurs étrangers non accompagnés illustre les manquements de la République au titre d’au moins trois de ses missions : « les droits fondamentaux des enfants en vertu de la Convention internationale, les insuffisances dans le fonctionnement des services publics, et le traitement discriminatoire des étrangers et des migrants (…) ».

Il est donc urgent pour Jacques Toubon que soient mises en place des « voies légales d’immigration et d’intégration » car « il ne faut pas que les souverainetés étatiques aillent à l’encontre des droits fondamentaux ».

Loin de s’enorgueillir de ses succès, le Défenseur des droits a bien conscience que l’objectif d’égalité ne sera pas atteint demain.
Source : Actualités du droit