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Proposition de loi « anticasseurs » : l’Assemblée nationale adopte en première lecture un texte controversé…

Pénal - Droit pénal spécial, Vie judiciaire, Droit pénal général, Procédure pénale
08/02/2019
Par 387 voix contre 92, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, le 5 février 2019, la proposition de loi « anticasseurs ».
Déposé en juin dernier, ce texte avait été voté en première lecture par le Sénat le 23 octobre dernier (TA Sénat, n° 9, 2018-2019).


Les principales modifications intervenues :

– allègement de la procédure de déclaration préalable d’une manifestation ;

– suppression des périmètres de contrôle lors des manifestations ;

– inscription des personnes interdites de prendre part à des manifestations au fichier des personnes recherchées ;

– possibilité pour le procureur de la République de requérir des fouilles de bagages et des visites de véhicules sur les lieux d'une manifestation sur la voie publique et à ses abords immédiats ;

– suppression de la sanction du port d’arme et du jet de projectile lors d’une manifestation ;

– abandon de l’obligation de "pointage" pendant la durée des manifestations.
 

Un renforcement de l’arsenal répressif…
Mesure phare de la proposition de loi (TA AN, n° 206, 2018-2019, visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations) : l’interdiction administrative de manifester.
Concrètement, l’article 2 permet désormais aux préfets de prononcer des interdictions de manifester à l’encontre des personnes constituant « une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public » (TA AN, n° 206, 2018-2019, art. 2).

Seuls sont concernés les individus qui, dans le cadre de précédentes manifestations, ont commis :
– des atteintes graves à l’intégrité physiques des personnes ;
– des dommages importants aux biens ;
– un acte violent.

L’arrêté devra mentionner la manifestation concernée et l’étendue géographique de l’interdiction, cette dernière devant satisfaire aux conditions suivantes :
– être proportionnée aux circonstances ;
– ne pas excéder les lieux de la manifestation et leurs abords immédiats ;
– ne pas inclure le domicile ou le lieu de travail de la personne concernée.

Le fait de ne pas respecter l’interdiction, dont la durée ne peut excéder un mois, est passible de six mois d’emprisonnement et de 7500 euros d’amende.

La proposition de loi, dans sa version initiale, prévoyait la création d’un fichier national des personnes interdites de prendre part à des manifestations. La dernière mouture du texte ne retient pas cette possibilité. Elle prévoit, en revanche, que les individus concernés soient inscrits au fichier des personnes recherchées.  

En vertu de l’article 1 de cette proposition de loi, des fouilles de bagages et des visites de véhicules pourront être effectuées sur les lieux d’une manifestation sur la voie publique et à ses abords immédiats. Si ces opérations permettaient la découverte d’autres infractions que celle visée par l’article 431-10 du Code pénal, cela n’entraînerait pas la nullité des procédures incidentes.    

Autre apport de ce texte, des précisions sur le délit de dissimulation du visage dans une manifestation. Cette infraction, punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende, ne vise que les personnes qui dissimulent volontairement leur visage pour échapper à leur identification par les forces de l’ordre, dans le but de participer ou d’être en mesure de participer à la commission de troubles à l’ordre public.
 
Enfin, sur le fondement de l’article 7, l’État pourra exercer une action récursoire contre les auteurs de dégradations afin qu’ils remboursent les dommages causés.
 

… au grand dam des avocats
Le mercredi 9 janvier 2019, la garde des Sceaux annonçait qu’il fallait « protéger le droit de manifester » (AFP, 9 janv. 2019 ; Belloubet veut "protéger le droit de manifester" en "l'encadrant").

Force est de constater que la proposition de loi "anticasseurs" divise, y compris au sein de la majorité .

Des craintes se font particulièrement ressentir chez les avocats, qui redoutent que la lutte contre les violences serve de paravent à une atteinte au droit de manifester. Le Conseil de l’Ordre de Paris « regrette qu'à l'occasion de violences commises lors du mouvement des « Gilets Jaunes » le gouvernement veuille porter atteinte de manière générale à la liberté fondamentale de manifester » (Barreau de Paris, 5 févr. 2019).

Il ajoute que la notion de « ‘‘personnes suspectées de constituer une menace pour l'ordre public’’ », permet l'arbitraire en écartant le magistrat judiciaire, garant des libertés individuelles, seul en mesure d'apprécier les critères dits « objectifs » tels que la commission d'actes violents » (Barreau de Paris, 5 févr. 2019).

Ces craintes sont partagées par Christiane Féral-Schuhl, présidente du CNB. Dans un courrier adressé à Alice Thourot, rapporteure de la commission des lois de l’Assemblée nationale, elle souligne que « cette proposition de loi porte une atteinte directe aux libertés individuelles, en particulier celle de manifester et celle de se rassembler »  

Le texte retournera, dès le 12 mars, au Sénat pour une deuxième lecture.

 
Source : Actualités du droit